Le site est vaste, fonctionnel et surtout surchauffé en cette fin d’après-midi. Gerard Drouot Production a visé juste. Le soleil tape dur – une fois n’est pas coutume – sur une surface totalement macadamisée qui garnit l’amphithéâtre à moitié rempli, s’il faut en croire la presse qui parle d’une assistance largement sous-estimée de 10.000 personnes. En ce 3ème et dernier jour de Heavy Week-End, quatre groupes garnissent l’affiche dominicale. Ayron JONES se charge de l’entame avec un set groovy comme on le connait, remplissant la tâche ingrate de tenter de secouer et de dynamiser un public quelque peu amorphe, ou plutôt toujours en train de s’installer et de garnir peu à peu l’amphithéâtre open-air.
Si Ayron JONES est servi par une remarquable sonorisation, celle-ci atteint qualitativement son apogée lors du set du légendaire – on peut le dire – Tom MORELLO. Et le public d’enfin se lâcher lors d’un medley de Rage Against the Machine que tout le monde attendait, un moment explosif entre la fureur du rap, la puissance du métal et la pulsation du funk qui sonnait à l’époque comme une rencontre du 3ème type entre Led Zeppelin et le hip-hop de Public Enemy. Et que dire, que penser de son vibrant hommage rendu à Audioslave et à Chris Cornell surtout (la personne la plus charmante jamais rencontrée) honorée par son portrait XXL tandis qu’un Like a Stone sonne de manière assez réussie faut-il l’avouer.
La mention d’un explicite (et peu surprenant) Cease Fire arbore la caisse du Che Guevara de la guitare, de laquelle sortent des sons qu’avant lui on n’avait jamais entendus à la fin des eighties. Des sons, plus que des notes de guitare, étonnamment proches des scratches que produisaient à l’époque les DJ manipulant leurs platines vinyle. Et que dire de ces sons que sort MORELLO en jouant du jack de sa guitare dans la paume de sa main ! Avec un tonitruant Kick out the Jam, Tom Ernesto MORELLO rend également un hommage appuyé au MC5 du récent disparu et regretté Wayne KRAMER (qui sera probablement porté au pinacle cet automne en intégrant le Rock & Roll Hall of Fame à Cleveland dans la catégorie Musical Excellence Award où MC5 est nominé). Ou quand deux militants de gauche (radicale ?) portent le même combat du bout de leurs six-cordes…
L’admiration sans bornes que MORELLO confie sur scène pour ALICE COOPER et pour JUDAS PRIEST n’est manifestement pas feinte, à le voir se trémousser backstage durant ces deux performances. Le set de MORELLO respecte l’horaire imposé (soit un peu moins d’une heure) alors qu’enchaîne ALICE pour 90 minutes d’un show sans surprise mais sans déception aucune non plus: ALICE reste fidèle à COOPER, le COOP’ de 2024 restant digne du COOP’ des seventies et des eighties – puis des nineties et du XXIème siècle – maltraitant vicieusement sa poupée mais en épargnant cette fois son nouveau-né qu’il n’exhibera donc pas de la pointe de son épée.
Pour le plaisir des yeux – mais pas uniquement – Nita STRAUSS est de retour aux côtés de notre fringant septuagénaire, après son départ du line-up auquel nous avions assisté à l’occasion de sa dernière prestation aux côtés du COOP’ au Hellfest 2022. Ce soir à nouveau, l’Hollywood Vampires ALICE COOPER dorénavant intemporel (voire éternel ?) nous délivre un véritable best of de sa désormais longue carrière, balayant 5 décennies de géniales compositions et de scénographies décalées, osant même un Another brick in the Wall qui s’enchaine à School’s Out. Rien de fondamentalement neuf sous le soleil pour ce qui n’est finalement que notre 13ème ALICE COOPER, avec l’intemporelle et délicieuse sensation que ce n’est que le premier…
Les potentielles 20.000 places de l’open air du Zénith se dégarnissent quelque peu le moment venu pour JUDAS PRIEST de partir à l’attaque d’une prestation sans faille de 90 minutes également. A l’heure précise, l’immense banderole qui masque partiellement la scène s’évapore dans les airs en une fraction de seconde, aspirée telle un spaghetti géant par le siphon buccal d’un invisible monstre planqué dans le lightshow ! Bam-bam-bam : à l’instar du very best of servi par ALICE COOPER, un soupçon du dernier album (d’entrée de jeu) viendra saupoudrer une set-list se résumant à un best of the best of de JUDAS PRIEST mené par un Rob HALFORD arpentant comme à l’accoutumée la scène de gauche à droite et de droite à gauche, le micro coincé entre ses deux mains jointes et le regard la plupart du temps fixé au sol.
D’une surprenante forme physique, HALFORD témoigne d’une plus surprenante encore voix, nous gratifiant de vocalises d’une époque que l’on pensait révolue et servies par une sono puissante mais parfois écrasée comme ce fut déjà le cas pour le COOP’. A l’inverse, la basse du vétéran Ian HILL est comme rarement mise en exergue tandis que l’emblématique The Hellion / Electric Eye est l’occasion de rendre le traditionnel hommage par vidéo interposée à KK Downing, figure centrale du groupe avant son départ. Les allusions et références à Birmingham tout au long du show semblent être devenues elles aussi le leitmotiv absolu du mythe fondateur de la BWOHM que sont JUDAS et les pères spirituels du SABBATH.
Les Metal Gods du PRIEST, tout de cuir vêtus, ont une nouvelle fois frappé fort ce soir, très fort. Denim & leather for ever ? On peut se poser la question en constatant que la plupart des pointures au programme de ces trois jours de Heavy Weekend Nancy (de Deep Purple à Scorpions et d’Alice à Judas) affichent tous une respectable septantaine bien entamée. Si l’avenir est devant nous, le leur est assurément derrière eux. Et derrière nous aussi, finalement…